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jpmineur
14 janvier 2009

Le Grand jour.

Le Grand Jour. C’est le grand jour, le plus beau jour de sa vie.

Ou plutôt aujourd’hui va devenir le plus grand jour de toute sa vie.   

De toutes ses vies. C’est sur de sur de chez sur and co.

Il a pris un train, tôt le matin, beaucoup trop tôt, mais il ne voulait, ne pouvait pas attendre.

En plus sa mère ne travaille pas le samedi, donc à la maison. Insupportable.

Impatient, comme un môme à Noël, une pucelle devant l’Homme.

Rasé de près, lame neuve, crâne rasé deux jours avant - faut tout calculer.

La veste de treillis des grandes occasions, la camouflage kaki et marron, achetée au surplus avec ses économies. Enfin, ses économies… sans travail et sans indemnités de chômage…les économies de sa mère plutôt. Débardeur noir avec crâne blanc sur le devant, pas assez moulant mais il aurait fallu prendre quelques kilos pour ça. Pantalon de treillis kaki, fraîchement lavé et repassé par maman, serré aux chevilles par le petit lacet. Rangers aux pieds, enfin pas des vraies, des baskets noires un peu montantes, avec des lacets blancs, achetées chez Carrefour par maman, pour son annif.

Mais c’est ce qu’il y avait de mieux.

Il a un look. Le bon look, le look. C’est sur de sur de chez sur and co.

Il l’a vérifié, longuement et sous tous les angles devant le miroir de la penderie Ikea de sa chambre, chez maman. A mimé mille fois les gestes à faire, les postures à prendre. Il a le temps.

Et la … Dans la poche intérieure, contre son cœur qui s‘emballe un peu, Le laisser passer, sésame indispensable, le précieux billet pour le match. LE MATCH.

La rencontre du siècle, l’unique, l’ultime, celle dont tout le monde parle, que tous veulent voir, veulent vivre.

Et lui … élu… Il y va. Les fesses serrées, le torse bombé, la bitte humide. Et un peu mal aux pieds, les chaussures sont neuves.

Rendez vous est pris à la ville, à coté du stade, avec les potes de sport, enfin de stade on devrait dire, ou même de télé, car c’est surtout à la télé qu’ils regardent les matchs, en buvant une bière ou deux, pas plus sinon il est malade lui, contrairement aux autres, qui peuvent picoler - tout au long de la nuit - comme ils disent.

Il se sent invincible, presque, pas encore complètement, mais il le deviendra, quand ils se seront retrouvés, pour rejoindre le stade, le temple…  Pour : LE match.

Les potes de la cité du carreau, surtout Kevin (il s’appelle Lucien mais préfère Kevin), il l’aime bien Kevin, un peu teigneux (en groupe), il fait de la boxe thaï Kevin ou un truc dans le genre, ça aide des fois.

Quand on croise des bougnoules malpolis, des muslims en babouches, ou des keublas en boubou.

Et ceux du quartier des oiseaux. Des durs …

Une dizaine ils sont, tous fans de l’équipe de la ville,  Ils habitent tous de sordides banlieues mais supportent fièrement les couleurs de leur ville voisine pourtant hostile à leur venue.

L’équipe chérie, ce soir, affronte, une escouade de trou du cul, de jatte, basanés, sentant mauvais, d’une ville du sud dont le seul nom donne envie de gerber et qu’on a pas droit de prononcer, au risque de prendre des coups. Normal.

Ça a été long, ils se sont retrouvés, ont sifflé quelques Kro tièdes achetées au Monoprix, bousculé des passants, chanté des chants guerriers (?). Ont cheminé lentement évitant les bandes rivales, parfois vicieuses. 

Mais. Ça y est, ils y sont… Parqués dans les tribunes qui leur sont réservées,  pour eux les purs, les vrais, fidèles parmi les fidèles. Face au grillage, dans les odeurs des fumigènes, sous le chahut des cornes de brume, des pétards, des cris, debout sur les siéges frappant du pied, foulard sur la bouche. 

L’équipe entre…  avec les autres, les bâtards, les bouffons qui vont être humiliés.

Vite, pousser de cris de singe au passage d’un black, tendre la main bien haut et crier Heil Heil Heil.

Ha ! Quel bonheur, dans un état second, comme en transe. Hurler, hurler encore.

Le match va commencer d’un moment à l’autre.

Il pense à son père, parti trop tôt d’un travail trop dur, vieux communiste à casquette jaunie, militant jusqu’à la fin pour un monde un peu meilleur, juste un peu.

Il aurait été fier le vieux de me savoir-la. De me voir la. Pense t’il dans les vapeurs de bière

Regard fiévreux, le corps couvert de sueur, les muscles tendus. Heil Heil Heil…

Il aurait été fier …

Pense t’il

Quand la tribune s’effondre !

Sur sa gueule de con.

JP.M

Palavas les flots Février 2008.

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