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jpmineur
9 octobre 2008

K.

K.

La pièce est petite, 4 ou 5 m², tout au plus, sombre, faiblement éclairée par une petite fenêtre entre ouverte, de bois piqué. Les persiennes sont fermées par un simple loquet de métal rouillé, leurs lattes bleuies, il y a longtemps, par une peinture déjà fanée, écaillées ça et la, laissent passer un léger courant d’air, chaud et humide. Le vent, un peu fort, vient de la mer, mais l’ouverture est au nord, à l’abri du soleil et des intempéries.
Dehors les oiseaux chantent, se chamaillent, invisibles, dans les branches voisines.
Des enfants rient dans les jardins alentours. La nuit tombe doucement.
Le plancher, un épais parquet de bois gris au reflet argenté, usé, marqué de la porte à la fenêtre , par d’innombrables passages, est encore solide, rassurant, grinçant sous le pas à quelques endroits.
Les murs sont de bois eux aussi, simples planches, brutes, tordues par l’age, à peine polies, peintes trop finement d’un gris satin et clair, presque blanc. Les nœuds du bois ressortent sous la couleurs pale.
Presque au centre, une petite table basse légère mais solide, en bois exotique et rouge, encombrée de papiers, d’un cendrier indien. Et une vieille chaise en pin, confortable et robuste. Au paillage or et noir, à l’assise accueillante. Travail d’artisan, travail d’un autre temps.
Négligemment posé, sur un coté du dossier, un blouson de jeans, râpé au col, aux coudes. Le rabat des poches tordu, comme dans un sourire moqueur, les boutons scintillent à la moindre lueur.
Une enveloppe kraft, dépasse de la poche intérieure.
Au sol sur des trépieds, et aux murs, fortement accroché à de solides patères.
Son trésor.
Ses princesses, de bois précieux et de métal fin et lustré, brillantes et mates à la fois, fières, au repos,
Frémissantes au moindre son, attendant leur heure, prêtes à repartir, à vibrer à nouveau, de toutes leurs âmes, de tout leurs corps, de toutes leurs cordes.
Ses guitares… Pas de poussiéreux trophées de chasse, accrochés ça et la… Non ! Plutôt des compagnes, des maîtresses,  pour l’instant délaissées.
A droite de la fenêtre, sur un stand de métal noir, une D35 noire, des années’65 au numéro limé, volée sûrement, acheté un soir dans un bar à un type sans argent, ex compagnon de tournée de Johnny Cash, qui lui aurait donné cette guitare en remerciement, après le concert de St Quentin.
Elle se repose maintenant de trop de nuits d’ivresse, de voyages en bus et de scène de ménage.
Ring of fire…00045s_50000_
A gauche sur le mur, une photo punaisée, noire et blanche, cornée et gondolée, son premier vrai émoi, une D 28 de ’74 achetée neuve pour ses 20 ans, commandée spécialement pour lui,. Il avait travaillé dur, sans compter les heures, sans épargner sa sueur, pompiste, laveur de voiture, palefrenier, homme sandwiche, pour pouvoir la payer. Première compagne, il avait eu du mal à la dompter, trop dure, trop neuve. Mais avec persévérance l’avait amadouée, presque soumise. Hélas il l’a vendue trop tôt, à regret, un soir de misère, ne gardant d’elle que cette précieuse photo, un peu de corne aux bouts des doigts et des milliers de souvenirs.
A coté une photo, un peu flou, de lui avec Chris. L. sur scène, derrière eux Benoît B.B.  et son harmonica, sa casquette et son badge : Kennedy will win.
Sweet home Chicago…
Une autre photo, sur scène aussi. de lui et Genny D. Sacrée Nana … Chanteuse de blues, ex chauffeur de taxi à Chicago.
Last thing on my mind…
En dessous, une Shenandoah, 28 32, à la tête nacrée, à la table orangée et rayée, cicatrices irréparables, de maltraitance involontaires, au son lourd, chaud, blues, comme essoufflée d’avoir traînée trop souvent dans ces clubs enfumés, ou des doigts noirs et puissants, infatiguables lui faisait revivre incessamment des souvenirs de misère, du Delta du Mississipi aux usines de Mr. Ford.
Crossroad…
Sur le mur, accrochée, une Small body, fraîche immigrée Canadienne, bois aux veines serrées, table d’arbre fruitier, simple, à la voix  timide, précise, claire et chantante. Petite princesse indispensable des studios, facile à emporter, légère et solide à l’avenir certain.
Candyman…
Dans l’angle, juste appuyé, face au mur, un National chromé et brillant, lourd, éreintant à porter, sonore, brouillon, fêtard s’imposant sans effort dans une rue en fête, coupant même la parole au banjo criard, au violon agressif. Pourtant capable aussi, certaines nuits de tristesse, de murmurer à la lune de longues plaintes émouvantes et d’Hawaiiennes mélodies langoureuses.
Vestapol…vib

En face, une Espagnole en cyprès jaune et clair, aux cordes de nylon, fine comme une mendiante.
Gaie comme une Andalouse, légère, au son précis, à la touche facile. Sa voix et chaude, elle parle de soleil, de lézards sur les murs, de guerres vieilles et vaines, d’enfants presque nus et bronzés, du sourire des filles sur des plages lointaines, de danses endiablées durant jusqu’au matin et d’îles inconnues
Asturias.
Sur la mur d’en face, quelques compagnes plus anciennes.
Comme les femmes, on les aimes, les adores, elles vous obsèdent, elle prennent tout, puis elles vous trompent un peu, alors on pleure, on les déteste, on les quitte, mais on ne les oublie pas … Jamais.
Sur une petite étagère de métal noirci, quelques harmonicas, une flûte blonde usée et un peu salle,
Quelques capodastres amollis, détendus, et autres souvenirs d’un passé turbulent. 

Au centre contre la chaise, trône Sa préférée, Sa reine de beauté, la dernière arrivée, faite pour lui, spécialement, la plus belle sûrement. Il a choisi les bois, décidé du moindre détail. L’a commander, l’a attendu. Fébrile et impatient.
Palissandre premier choix pour la caisse, beaux, sonore et chaud. Cèdre pour la table claire et brillante aux aigus de cristal. Au reflets de paille fraîche.
Acajou pour le manche, 12 cases, soyeux au touché mais dur, inusable. Les repaires d’abalone, finement ciselés, diamants et snowflake, sans excès , parent la belle, d’un délicat collier.
La tête est ajourée. Plaquée d’ébène noir , incrustée de la plus fine des nacres venant de mers lointaines et hostiles. Le motif classique, scintille dans la pénombre comme une couronne de Miss.
Mécaniques Waverly, boutons d’ivoire. Perfection sobre.
L’abalone ceinture tout le tour de sa robe dorée, de sa rosasse finement ouvragée.
Californienne, c’est vrai quelle est belle, magnifique, comme les inaccessibles blondes de la plages à cinq heures.
Le son est pétillant, poivré et vif comme la voix de Nina, la farouche brunette, latino, serveuse de la Cantina Mama, refuge des trop fréquents et longs soirs de solitude.
Le basses sont profondes lointaines et sombres comme le regard de… La Mama de la Cantina.
Les aigus le surprennent encore, pourtant il en a caressé des princesses de bois. Il en a fait vibrer des belles de solitudes. Il en a même soumi, fait crier, mille fois, des catins de musique.
Il l’aime, la serre contre son cœur, l’enlace de ses bras, du bout des doigts l’effleure, pour la faire ronronner, murmurer doucement, chant d’amour éternel.
Du lever humide et froid au souper tardif, elle est la.
C’est sur, il vont vieillir ensemble, elle sera sa dernière maîtresse, sa dernière compagne.
Vieux et seul, elle comblera sa solitude. L’emportera vers des étoiles qu’eux seuls visiteront.
Lui… Il la bercera doucement dans son vieux rocking-chair de la véranda, à l’ombre en rêvant, sirotant à petites gorgées, du thé glacé… Un peu alcoolisé.
Il somnole.

Elle est la, reposée et offerte… presque femme.
Elles sont toutes la, fidèles une dernière fois.

Dans cette fragile maison de bois, de la New Orléans.
Ce jour d’Août 2005, 
Quand Katrina  a tout emporté.

JP.M
Palavas les flots.
Février 2008.

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